Après plus d'un mois sans surfer vous avez retrouvé les spots de surf il y a une dizaine de jours. Qu'est-ce-que cela vous a fait ?
"Cela faisait plaisir déjà de pouvoir retrouver l'océan. Le surf c'est bien évidemment mais juste le fait d'être dans l'océan c'était hallucinant. Pour ma première session de surf, j'étais aller tôt le matin et j'étais tout seul dans l'eau. C'était un moment magique avec les poissons qui sautaient, et les oiseaux qui volaient autour."
Dès que le confinement a été allégé beaucoup de monde s'est dirigé vers les plages et les spots de surf. Même si le virus ne circule pas autant au fenua, est-ce-que vous n'avez pas eu une petite appréhension ?
"Non pas vraiment. Chacun est libre de faire ce qu'il veut. Maintenant on a compris qu'il y a des gestes barrières à respecter. En fait j'ai plus peur d'aller faire mes courses dans les supermarchés par exemple que d'aller surfer. Après j'avoue que c'est assez compliqué de respecter la distanciation sociale sur les spots. On n'a pas de masque quand on surfe parce que c'est évidement compliqué de le faire avec. Mais on fait attention de rester à un mètre des uns et des autres pour se parler. Après je trouve qu'on a vraiment été solidaire ici à Tahiti pendant cette période de confinement. On a tous joué le jeu, avec quelques uns bien-sûr qui voulaient jouer au plus fort mais c'est comme ça partout dans le monde. Mais dans l'ensemble on a été exemplaire."
Des activités sportives restent encore interdites comme la pratique de sports collectifs ou de combats. Vous comprenez ces interdictions ?
"C'est compréhensible. C'est sûr que dans les sports de combats le contact est obligé et à partir de là le virus peut se propager rapidement. C'est évidemment très gênant pour les sportifs concernés mais c'est compréhensible."
Vous êtes un sportif de haut niveau. Comment vous êtes-vous entretenu physiquement durant cette période ?
"Je me suis entrainé chez moi avec ma femme. Je m'entrainais cinq jours sur sept. Plutôt du physique pendant une heure et demie voire deux heures. C'était beaucoup de cardio avec de la corde à sauter, du travail de stabilité avec des ballons. En fait c'était surtout de l'entretien, parce que j'avais débuté ma préparation physique dès le mois de janvier pour préparer la prochaine saison. Après il fallait faire attention au ma'a. C'est très facile de prendre du poids et d'être rapidement hors de forme."
"Kauli Vaast est aujourd'hui celui qui a plus les capacités de rentrer sur le Tour"
Mentalement comment avez-vous gérer cette période ?
"Au niveau mental ça a été très difficile, surtout au début. Le fait que l'on allongeait à chaque fois la période de confinement, je me disais à certains moment "pourquoi je continue de m'entrainer ? Les autres continuent de surfer à l'étranger alors que moi je suis à la maison." Au niveau mentale ce n'était pas tous les jours évident, mais dans ces moments là je pouvais compter sur ma famille. Ce confinement ça nous a permis de revenir à l'essentiel. "
Au niveau de la technique de surf. Est-ce-que vous avez senti une perte technique lorsque vous avez retrouvé l'eau ?
"On ne peut pas parler de perte. La technique est toujours là. Evidemment je ne serai pas à 100% si je devais démarrer une compétition demain. Les sensations vont revenir au fur et à mesure des sessions, et Papara c'est l'un des meilleurs spots pour s'entrainer. La WSL (World Surf League) a annoncé une potentiel reprise du CT à la fin du mois de juin. Donc ça me laisse encore facile plus d'un mois pour être prêt."
Donc la WSL a prévu une date de reprise pour le CT ?
"On pourrait être en Afrique du Sud pour la reprise fin juin. Mais rien n'est vraiment acté pour le moment. Tant qu'il y aura des restrictions au niveau de certains pays comme les Etats-Unis ou le Brésil on ne pourra pas reprendre. Le mieux selon moi serait d'attendre la fin de l'épidémie. A moins que d'ici là nous soyons tous testés, ou qu'un vaccin soit prêt."
Avant d'attaquer une nouvelle saison sur le CT, vous vous étiez inscrit au début du mois de mars au Papara Pro Open, une étape du QS. C'était une manière un peu pour vous de vous tester avant la reprise ?
"J'ai voulu faire quelque chose de différent, et je voulais commencer fort l'année. Je savais qu'en participant au Papara Pro Open, je serai l'homme à abattre. C'était une manière en fait pour moi de me mettre un peu de pression, et d'aller à l'eau avec cette envie de gagner. Après je sais que ça n'aurait pas été évident de gagner avec tous les jeunes qui sont en train de monter."
"Je préfère gagner le titre champion du monde parce que j'ai rêvé de ça toute ma vie"
Justement en parlant de la nouvelle génération de surfeur tahitien. Qui pourrait selon vous vous rejoindre les prochaines années sur le CT ?
"Le surf polynésien se porte très bien. Pour moi Kauli Vaast est aujourd'hui celui qui a plus les capacités de rentrer sur le Tour. Déjà parce qu'au niveau sponsor il est très bien accompagné, ses parents s'occupent très bien de lui, et c'est un garçon qui a la tête sur les épaules. Et surtout il a un très bon état d'esprit quand il s'agit aborder les compétitions. Il ne se laisse pas faire et il a un très bon surf pour toutes les conditions. Au niveau confiance il est bien. Après il y a aussi Mihimana Braye qui est un peu plus âgé et que j'apprécie beaucoup. C'est le seul jeune qui s'entraine beaucoup physiquement hors de l'eau. Il est vraiment très professionnel et très investi dans ce qu'il fait. O'Neill Massin aussi c'est un très bon jeune avec un sacré potentiel. Le seul souci c'est qu'il est bon que dans les grosses conditions. Ça peut jouer à son avantage sur les grosses compétitions qu'il y a Hawaii à la fin de l'année."
Vous attaquez votre 12ème année sur le tour professionnel. Qu'est-ce-que qui vous a manqué ces dernières années pour pouvoir titiller des surfeurs comme Italo Ferreira, Gabriel Medina, John John Florence qui sont à la lutte chaque année pour le titre de champion du monde ?
"C'est l'un des points positifs de ce confinement c'est que j'ai beaucoup réfléchi. Il faut que j'arrive avec mon expérience à mieux gérer techniquement les séries. A mon âge je ne vais pas me mettre à sortir de gros airs (manœuvres aériennes) cela ne sert à rien. Il faut que je passe plus de temps à l'analyse des séries, des miennes et des autres également. De savoir pourquoi les juges m'ont mis cette bonne note là pour cette vague et une moins bonne pour une autre. A partir de là je peux commencer à travailler, et monter en niveau. Et les objectifs restent les mêmes pour moi c'est à dire viser toujours le plus haut possible. Après au niveau mental aussi ça devient de plus en plus compliqué pour moi d'être loin de ma femme et de mes enfants. Mais ce qui me donne l'envie de continuer c'est le fait d'avoir Teahupoo comme spot de surf pour Paris 2024. Je ferai tout pour rester sur le Tour quatre ans de plus pour participer à cet événement. Il faut qu'un surfeur Tahitien soit présent, dans le cas où un Kauli ou un Mihimana n'arriverait pas à se qualifier pour le Tour."
Vous aurez 38 ans pour les Jeux de Paris en 2024. Vous vous voyez tenir physiquement encore aussi longtemps ?
"Oui je me vois bien continuer jusqu'à Paris 2024. S'entretenir physiquement et mentalement ce n'est pas un problème. Surfer contre des gars plus jeunes ce n'est pas un problème aussi. On voit bien aujourd'hui avec Kelly Slater qui continue d'être sur le Tour à 48 ans, et qui a fini dixième l'année dernière. Je vais prendre un exemple local. Teva Zaveroni, à 44 ans, est toujours l'un des meilleurs sportifs de Tahiti. Tant que lui continue je continue aussi (rires)."
Avant Paris 2024 il y les Jeux olympiques de Tokyo qui ont été repoussés à 2021. Cela vous donne un délai supplémentaire pour votre préparation ?
"Exactement. Ce n'est pas tellement une question d'entrainement parce qu'on fait ça tous les jours. Mais le truc ça va être de trouver une planche adaptée pour les petites conditions. On s'est aperçu que l'on n'avait pas le bon matériel l'année dernière lors des championnats du monde ISA qui se sont tenus au Japon. Sur le Tour on a des étapes avec des petites vagues, mais pas autant qu'au Japon. Et les favoris là-bas sont ceux qui feront des manœuvres aériennes, je pense aux Brésiliens notamment. Mais l'objectif c'est évidemment de décrocher une médaille."
Le surf est une discipline toute nouvelle dans l'olympisme. A choisir entre un titre de champion du monde et une médaille d'or aux JO vous prenez quoi ?
"Quand je me suis lancé dans le surf ce qui me faisait rêver c'était le titre de champion du monde. Mais maintenant qu'il l'est ça peut donner plus d'ambitions et plus d’objectifs à la génération des Kauli Vaast. Après le grand public va voir une médaille d'or aux JO comme quelque chose de plus grand à cause de l'exposition médiatique. Mais moi je préfère gagner le titre champion du monde parce que j'ai rêvé de ça toute ma vie."